- ESPACE (CONQUÊTE DE L’) - Les débuts de la coopération internationale
- ESPACE (CONQUÊTE DE L’) - Les débuts de la coopération internationaleEn dépit des difficultés politiques et des problèmes de sécurité, des progrès ont été accomplis dans la coopération effective entre les nations au cours des six premières années de l’âge spatial. Les projets de coopération internationale de la N.A.S.A. (National Aeronautics and Space Administration, Administration américaine pour l’espace et l’aéronautique) furent à l’origine de l’essentiel des réalisations. D’autres centres de collaboration internationale ont cependant fait leur apparition: les organisations européennes E.L.D.O. (European Launcher Development Organization), ou Commission européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spatiaux (C.E.C.L.E.S.) et E.S.R.O. (European Space Research Organization, ou Organisation européenne de recherche spatiale) ont esquissé les programmes ambitieux; le Cospar (International Committee for Space Research, Commission internationale pour la recherche spatiale) a entrepris des activités opérationnelles sous la pression de certains de ses groupes de travail. Enfin, les premiers pas accomplis par l’Union soviétique et les États-Unis vers une coordination de leurs efforts, bien que lents et parfois incertains, contenait la promesse d’une évolution positive.1. Naissance de la coopérationL’âge de l’espace naquit dans un climat de coopération internationale. Suivant les propositions faites à Rome en 1954 par le Comité spécial de l’année géophysique internationale (C.S.A.G.I.), chargé de la préparation du programme de l’A.G.I. (Année géophysique internationale), les États-Unis et l’Union soviétique prirent la décision de lancer des satellites artificiels scientifiques. Les deux pays, ainsi que la Grande-Bretagne, le Canada, le Japon, l’Australie et la France (officieusement), organisèrent des programmes de lancement de petites fusées-sondes à usage scientifique.Le C.S.A.G.I. décida, dès lors, que l’échange d’informations concernant les satellites et les fusées-sondes était compatible avec le caractère ouvert et scientifique de l’A.G.I. Les participants occidentaux souhaitaient le plus large échange des expériences et de leurs résultats. Les savants soviétiques préférèrent limiter la résolution à la communication des travaux scientifiques publiés. Le fait que les instruments, les techniques et certains objectifs de recherche spatiale soient communs à la fois aux intérêts scientifiques et aux intérêts militaires constituait un facteur limitatif.Les savants des pays concernés par le développement des satellites et des fusées-sondes ou des stations de poursuite se réunirent à Londres en novembre 1958 avec les délégués des associations scientifiques internationales intéressées, afin d’élaborer la charte d’un organisme permanent, la Commission internationale pour la recherche spatiale (Cospar), qui serait placé sous l’autorité du Conseil international des unions scientifiques. Le Néerlandais H. C. Van de Hulst fut désigné comme président, et des représentants de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S. participèrent à la rédaction de la charte; mais, au cours de la réunion suivante à La Haye, en mars 1959, ils alléguèrent que le texte adopté ne permettait pas une représentation adéquate du bloc oriental. D’autres délégués s’opposèrent énergiquement à l’ingérence de facteurs politiques dans l’organisation d’un corps scientifique non gouvernemental. Un compromis fut réalisé, avec la nomination de deux vice-présidents, respectivement américain et soviétique, et la possibilité de choisir des représentants supplémentaires au comité exécutif du Cospar dans des listes présentées par les deux pays.En 1962, le Cospar entreprit de modifier ses structures afin de contribuer effectivement à l’organisation d’une recherche spatiale utile. Des progrès réels furent faits en 1963, avec la mise au point d’un programme de fusées-sondes pour la météorologie, pour l’étude de l’ionosphère et pour l’aéronomie.Le Cospar étudia aussi les projets d’expériences spatiales, pour déterminer si elles ne risquaient pas de nuire à d’autres recherches. Par exemple, il établit des critères pour que Mars ne soit pas contaminé par des sondes, ce qui mettrait en péril le matériel envoyé plus tard sur place ou récupéré, sans parler de la préservation des éventuelles formes de vie sur la planète. Le Cospar était responsable de Space Warn, réseau d’étendue internationale qui transmettait rapidement les informations sur les lancements de fusées et de vaisseaux spatiaux. En 1965, le Cospar a organisé la section «fusées et satellites» du programme 1964-1965 des années internationales du Soleil calme.Il y eut peu de changements dans les années soixante par rapport aux structures d’origine de l’A.G.I. relatives aux échanges de renseignements et de notifications de lancements et de vols. Tandis que d’autres pays allaient bien au-delà des conventions de l’A.G.I.-Cospar sur la coopération, l’Union soviétique continuait en général à publier des résultats scientifiques qui manquaient souvent de détails suffisants pour permettre une évaluation indépendante; elle fournissait les coordonnées des satellites à certains points précis, mais ne donnait pas les éléments orbitaux qui auraient permis une observation facile; elle ne livrait que des renseignements généraux sur les lancements de fusées-sondes dans diverses régions, sans indiquer le but expérimental ni les résultats. Les catalogues de données «fusées et satellites» déposés au centre mondial de renseignements de l’A.G.I. à Moscou auraient dû être remis tous les six mois, mais ils ne furent disponibles qu’après 1960. L’échange d’informations sur les résultats scientifiques ne respectait qu’approximativement les exigences fondamentales.Après 1957, le radiotélescope de Jodrell Bank en Angleterre, sous la direction de sir Bernard Lovell, permettait d’annoncer au monde, souvent officieusement, les lancements spatiaux soviétiques, avant que ceux-ci ne le fissent. Lovell précisa notamment, en 1968, que le vaisseau automatique Zond-5, présenté par les Soviétiques comme une sonde de l’espace lointain, était en fait mis en orbite lunaire afin d’être ramené sur Terre. Bien que les Soviétiques eussent démenti ces affirmations, les faits prouvèrent que Lovell avait raison. De même, en juillet 1969, Lovell annonça, avant les Soviétiques, l’écrasement de Luna-15, sonde soviétique qui survolait Apollo-11.La Fédération astronautique internationale constitue à côté du Cospar un forum pour les colloques sur les aspects technologiques de la recherche spatiale et rassemble un grand nombre de sociétés nationales intéressées par le développement de l’exploration spatiale dans des buts pacifiques.2. Programmes américains de coopérationLa charte de la N.A.S.A. prévoit, parmi ses objectifs, la coopération entre nations pour les activités spatiales. La coopération proposée par la N.A.S.A. prit la forme d’agences officielles établies dans divers pays, chargées de la répartition effective des responsabilités spécifiques requises, parmi les intéressés, pour les projets scientifiquement valables, sans échange de fonds. Le programme de la N.A.S.A. comprenait différents points:– Les projets de satellites internationaux . Ariel et Alouette-1 inaugurèrent la série, le premier de mécanique américaine et d’instrumentation britannique, le second, entièrement mis au point par le Canada, et tous deux lancés avec succès en 1962 par les soins de la N.A.S.A. À la fin de 1964, un nouveau satellite britannique et le premier satellite italien furent lancés, ce dernier par une équipe italienne opérant sur un site américain. Des satellites communs furent envisagés par les organismes nationaux pour l’espace de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne. Grâce à un accord conclu en 1964, la N.A.S.A. envoie en 1967 deux satellites préparés par l’E.S.R.O.En novembre et décembre 1965, un deuxième satellite canadien et A-1, le premier satellite français, furent lancés par les États-Unis. La même année, un accord bilatéral fut conclu entre la N.A.S.A. et la république fédérale d’Allemagne pour un projet de satellite scientifique commun, réalisable en 1968. Un projet impliquant la N.A.S.A. et le Centre national d’études spatiales (C.N.E.S.) fut décidé en 1966; il concernait l’envoi d’un satellite français par la N.A.S.A. et son emploi en conjonction avec des ballons-sondes de haute altitude qui fournirent des données sur les vents et les températures.En 1968, eut lieu le premier lancement réussi d’un satellite de l’E.S.R.O. emportant des instruments français, néerlandais et anglais pour mesurer les radiations solaires et les rayons cosmiques dans les couches les plus basses des ceintures de Van Allen.– Expériences individuelles pour satellites . Un certain nombre d’expériences, proposées par des savants étrangers et jugées compétitives avec les projets américains, furent sélectionnées par la N.A.S.A. pour être incorporées aux grands satellites d’observation dont le lancement était échelonné sur plusieurs années.– Expériences sur fusées-sondes . L’Australie, le Canada, la France, l’Italie, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, le Danemark, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas et l’Argentine (auxquels se sont joints le Brésil, la république fédérale d’Allemagne, l’Espagne et la Grande-Bretagne) collaborèrent avec la N.A.S.A. pour le lancement de fusées-sondes scientifiques à partir de divers pays. Les responsabilités étaient réparties, selon les principales fonctions: fusées, charges utiles et infrastructures.– Participation expérimentale au sol . Plus de quarante pays effectuèrent des observations météorologiques au moyen d’avions, de ballons-sondes ou d’instruments au sol, en corrélation avec la photographie des nuages transmise par les satellites Tiros de la N.A.S.A. Dix pays installèrent des stations au sol pour l’expérimentation des communications au moyen des satellites de télécommunications de la N.A.S.A.– Opérations de poursuite et d’acquisition des données . Les deux tiers environ des stations situées hors des États-Unis fonctionnaient avec l’aide partielle ou totale d’un personnel local comprenant des techniciens et sont subventionnées par leurs gouvernements respectifs.– Formation spécialisée . Trois programmes de la N.A.S.A. ont offert un enseignement de troisième cycle dans les universités américaines pour des étudiants envoyés par leurs organisations spatiales nationales, des stages de formation dans des centres de la N.A.S.A. dans le cadre des projets de coopération agréées, des postes dans les centres de la N.A.S.A. pour les chercheurs qualifiés.3. Relations entre les États-Unis et l’Union soviétiqueDurant l’A.G.I., les représentants des États-Unis s’efforcèrent, sans grand succès, d’élargir les échanges entre les deux principales puissances spatiales. D’autres ouvertures bilatérales privées furent faites et, en 1960, la N.A.S.A. proposa officiellement les services des stations de poursuite du projet Mercury aux futurs vols habités soviétiques. L’offre fut repoussée. En 1962, à l’occasion des félicitations officielles du président Nikita S. Khrouchtchev présentées à l’issue du premier vol habité américain, le président John F. Kennedy proposa un programme précis de coopération et désigna Hugh L. Dryden, administrateur délégué de la N.A.S.A., comme chef de la négociation. Khrouchtchev chargea l’académicien soviétique A. A. Blagonravov de rencontrer Dryden. En juin 1962, ils parvinrent à un accord sur les projets suivants: lancement coordonné de satellites météorologiques et échanges des données, estimation nouvelle du champ magnétique terrestre au moyen de satellites, démonstration expérimentale des télécommunications au moyen du satellite américain Echo-2. En août 1963, un accord détaillé fut conclu.À mesure que se développait le programme spatial des États-Unis et grâce au relâchement de la tension internationale, dû au traité sur l’interdiction des essais nucléaires de 1963, Kennedy fut porté à suggérer, dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 1963, que les deux pays poursuivent la coopération dans leurs programmes lunaires habités. Faisant suite aux accords de 1962, des essais de télécommunications au moyen d’Echo-2 furent effectués entre la Grande-Bretagne et l’Union soviétique. Les Soviétiques communiquèrent les données relatives aux essais. En octobre 1964, fut mise en service, entre Washington et Moscou, une ligne de télécommunications classique, afin d’échanger les données météorologiques, sur la base d’un partage des frais. En 1966, les deux pays commencèrent à échanger les renseignements des satellites météorologiques, par télécommunications conventionnelles.Le premier cosmonaute soviétique qui visita les États-Unis fut German Titov, le deuxième homme à voler dans l’espace, en août 1961 à bord de Vostok-2. En mai 1962, avec sa femme, il fut invité officiellement aux États-Unis, à New York et à Washington. Plus tard, d’autres cosmonautes visitèrent les États-Unis et firent des comptes rendus techniques qui fournirent quelques renseignements à la N.A.S.A. Des astronautes américains et des cosmonautes soviétiques se rencontrèrent à l’étranger lors de meetings sur l’espace et échangèrent quelques propos. En juillet 1969, le colonel Frank Borman, commandant du vol Apollo de décembre 1968, était l’hôte en U.R.S.S. de l’Union des sociétés d’amitié et de l’Institut des relations soviéto-américaines. Après le retour de Borman aux États-Unis et le lancement de Luna-15, il téléphona au professeur Keldish, président de l’Académie des sciences, pour lui demander des renseignements sur le vol de Luna-15, afin de savoir s’il y avait un risque d’interférence avec Apollo-11, lancé après Luna-15. Les renseignements furent envoyés par câble, de même que fut notifié un changement d’orbite ultérieur. C’était la première fois que des informations étaient données directement sur un vol soviétique en cours.4. Coopération régionale européenneAu cours de la période 1961-1963, plusieurs pays fondèrent l’Organisation européenne de recherche spatiale (E.S.R.O.) pour le développement des satellites et l’envoi des fusées-sondes. À la fin de 1963, les plans établis prévoyaient un budget de trois cents millions de dollars pour une période de huit ans, l’établissement d’un centre de données à Darmstadt (république fédérale d’Allemagne), d’un centre technique à Delft (Pays-Bas), d’un centre d’essais en Italie et d’un centre administratif à Paris. Les pays membres étaient la Grande-Bretagne, la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, le Danemark, la Suède, la Belgique et les Pays-Bas. Parmi les projets de l’E.S.R.O. figuraient la mise au point de deux petits satellites lancés par la N.A.S.A. et le lancement d’un grand satellite astronautique par un véhicule de l’E.L.D.O.En 1967, l’E.S.R.O. fut réorganisé pour améliorer sa structure administrative et accorder plus d’importance à la recherche appliquée qu’à la recherche pure. La même année, la N.A.S.A. signait un accord avec l’E.S.R.O., le premier en son genre, d’après lequel la N.A.S.A. lancerait des satellites de l’E.S.R.O. En 1967, l’Espagne se retira de l’E.S.R.O., suivie en 1968 de l’Italie.Une seconde agence, la Commission européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d’engins spatiaux (E.L.D.O.) fut mise sur pied durant la même période. Comprenant le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie et l’Australie, l’E.L.D.O. projeta la réalisation d’un lanceur européen, utilisant une fusée britannique Blue Streak comme premier étage, un deuxième étage de construction française (fusée Diamant) et un troisième étage, allemand. Le budget de l’E.L.D.O. prévoyait deux cents millions de dollars pour cinq ans. Le site de lancement prévu était Woomera (Australie). L’étage Blue Streak accomplit avec succès un vol d’essai en 1964, d’autres essais suivirent en 1966 et en 1967. En 1968, la Grande-Bretagne annonça qu’elle se retirait de l’E.L.D.O., par suite d’une diminution de son budget spatial. En 1965, la France avait voulu annuler le véhicule Europa-1 et passer à des lanceurs plus puissants et, en 1967, elle annonça un accord avec l’U.R.S.S. pour le lancement, en 1971, d’un satellite scientifique français par un véhicule soviétique. Comme l’Italie, après son départ de l’E.S.R.O., la France poursuivit son propre programme spatial, comme le fit également le Japon.5. Activités des Nations uniesÀ l’instigation des États-Unis, les Nations unies fondèrent en 1959 une commission ad hoc pour les usages pacifiques de l’espace. L’Union soviétique, la République arabe unie et l’Inde s’abstinrent principalement pour des motifs de représentativité politique et de procédure. La commission élabora un rapport qui soulignait les possibilités d’activités utiles à l’intention des agences spécialisées de l’O.N.U. telles que l’Organisation météorologique mondiale, qui, après 1963, donna mandat à un service mondial de surveillance du temps pour rassembler et distribuer les données obtenues par les satellites américains et soviétiques, ainsi que les données provenant de fusées-sondes, de ballons météorologiques et d’observations faites au sol, et cautionna l’Union internationale des télécommunications, qui, après 1967, assigna aux différents pays des fréquences radio à l’échelle de la planète pour éviter la confusion et les interférences dans les communications.À la fin de 1961, une formule fut approuvée qui élargissait la commission, en augmentant la représentation du bloc oriental, et tendait à établir son fonctionnement sur la base de l’unanimité. La commission prenait le nom de Commission des Nations unies pour l’usage pacifique de l’espace et comprenait deux sous-commissions, l’une pour les questions techniques et scientifiques, l’autre pour les questions de droit. La fonction de la commission devait être de faciliter la coopération entre les nations plutôt que de prendre part à des activités opérationnelles. La sous-commission scientifique et technique se réunit à Genève en 1962 et recommanda la publication d’informations concernant les programmes nationaux, demanda le soutien des programmes spécifiques de la communauté scientifique internationale et évoqua la possibilité de la prise en charge par l’O.N.U. d’une aire de lancement de fusées-sondes internationale située sur l’équateur géomagnétique. L’Inde offrit de procéder à l’installation d’une telle aire, alors en projet, en collaboration avec les États-Unis, la sous-commission et l’Assemblée générale approuvèrent les recommandations.En 1966, les États-Unis, puis l’Union soviétique proposèrent la conclusion d’un traité qui réserverait les corps célestes aux activités pacifiques. La sous-commission législative de la Commission des Nations unies pour l’usage pacifique de l’espace rédigea ce traité qui fut approuvé par l’Assemblée générale de l’O.N.U. en décembre 1966.Le 10 octobre 1967, soixante-deux pays avaient signé le traité. Le président Lyndon B. Johnson déclara à cette occasion: «La prochaine décennie devrait être de plus en plus, non seulement celle de la coopération entre l’Union soviétique et l’Amérique, mais entre tous les pays sous le soleil et les étoiles.» Le traité interdit les armes dans l’espace et prévoit des inspections mutuelles des avant-postes spatiaux.Un traité sur le sauvetage dans l’espace fut approuvé par l’Assemblée générale à la fin de 1967 et signé en avril 1968 par les représentants de quarante-deux pays, le traité devant entrer en application après signature par les États-Unis, l’U.R.S.S., la Grande-Bretagne et deux autres pays.
Encyclopédie Universelle. 2012.